AIR PLAY MOON SAFARI

Deux étudiants, l’un en astrophysique, l’autre en architecture, entrent dans un bar sur la lune. On pourrait songer à une blague, mais au crépuscule du XX^e siècle, les sonorités de Moon Safari (accords de Fender Rhodes, lignes de basse sinueuses, hooks vocaux sensuels et ludiques, le tout tissé dans une étoffe aussi fine et luxueuse que de la mousseline de soie) évoquent un cocktail de l’ère spatiale conçu pour être consommé à un rythme tranquille. Et le curieux petit disque devient une sensation mondiale.

« Vivre ce succès soudain fut une expérience violente, se souvient Jean-Benoît Dunckel. Notre musique n’est a priori ni vraiment accessible ni facile à discerner. Même Sexy boy a un son étrange. Nous rêvions d’être adoubés par nos pairs, et voilà que le monde entier subitement nous adule ! »

La presse anglaise les juge très anglais, la presse française se demande s’ils ne seraient pas en réalité anglais. Bien que leurs influences soient inhabituelles et leurs ambitions ouvertement anti-commerciales, Godin et Dunckel sont doués d’une capacité à saisir l’essence de la pop qui peut captiver le grand public.

Moon Safari était un nid de contradictions. Mais pendant la genèse de l’album, en 1996–1997, « un vent nouveau de créativité soufflait dans Paris, qui concernait aussi le graphisme, le cinéma, la mode », rappelle Jean-Benoît Dunckel. Cette étincelle de jeunesse a encouragé Air à dépasser les canons sonores imposés par Jean-Michel Jarre ou Magma, à passer outre le son de synthétiseur analogique et progressif qui dominait alors, sans pour autant tomber dans la réhabilitation des synthétiseurs cheap.
Godin et Dunckel n’avaient rien de clubbers invétérés, mais n’en étaient pas moins réceptifs à la chronologie de la fête, à la descente de l’euphorie d’une nuit intense au calme vaporeux du milieu de matinée qui s’ensuit. Moon Safari a trouvé sa place de dégrisement de jour, et en un rien de temps son influence downtempo s’est répandue et a résisté à l’épreuve du temps.

Christian Wasselin